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Procédure disciplinaire : la personne poursuivie doit s'exprimer en dernier

Pieyre-Eloi Alzieu-Biagini • juil. 23, 2020

Par un arrêt du 7 décembre 2015 (n° 376387), publié au Recueil Lebon, le Conseil d'Etat a établi une nouvelle implication des principes généraux du droit disciplinaire, à savoir le droit de la personne poursuivie de d'exprimer en dernier au cours de l'audience disciplinaire. Cette solution est sans surprise par rapport à la jurisprudence antérieure, marquée par la convergence entre la procédure disciplinaire et la procédure contentieuse pénale et administrative.




Les faits de l'affaire sont simples, Madame A., sage-femme, était poursuivie devant l'instance disciplinaire. L'affaire a été portée devant la Chambre disciplinaire nationale qui a tenu une audience conformément aux dispositions de l'article L. 4126-1 du Code de la santé publique.


Or, au cours de l'audience, qui a abouti à l'interdiction d'exercer de Madame A. pour une durée d'un an dont huit mois avec sursis, la Présidente de la Chambre disciplinaire a refusé de redonner la parole à Madame A avant la mise en délibéré de l'affaire.

Madame A s'est alors pourvu en cassation devant le Conseil d'Etat en soulevant notamment cette irrégularité.


La réponse du Conseil d'État à ce moyen est claire :


"Considérant que les principes généraux du droit disciplinaire impliquent que, lors de l'audience, la personne poursuivie soit mise à même de prendre la parole en dernier ; que si la décision attaquée de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des sages-femmes, dont les mentions font foi jusqu'à preuve contraire, indique que Mme A...a été invitée à reprendre la parole en dernier, il ressort notamment de trois attestations circonstanciées de sages-femmes présentes à l'audience, dont le contenu n'est pas sérieusement contesté en défense, que la présidente de la chambre disciplinaire nationale a refusé de redonner la parole à Mme A... avant la mise en délibéré de l'affaire ; que, par suite, la décision attaquée est entachée d'irrégularité et doit, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, être annulée pour ce motif ;".


Le Conseil d'État tire ainsi une nouvelle implication des principes généraux du droit disciplinaire, le droit pour la personne poursuivie dans le cadre de l'instance disciplinaire d'être mise à même de prendre la parole en dernier.


Saisissant l'opportunité que lui procure l'affaire, le Conseil d'Etat établit ainsi une solution dans la droite ligne de la jurisprudence antérieure.

De sa jurisprudence sur la tenue de l'audience devant les juridictions administratives de droit commun, Tribunal administratif et Cour administratif d'appel, d'une part. En effet, l'arrêt commenté est à rapporcher, ainsi que l'indique l'abstract, de la solution de l'arrêt Commune de Saint-Cyprien ( CE, 1er décembre 1993, n° 129048 ) qui établit une solution comparable pour les juridictions administratives de droit commun, préconisant que le défendeur soit mis en mesure de répliquer aux observations du requérant. Logique donc de voir étendue cette solution aux juridictions administratives spécialisées que constituent les juridiction disciplinaires dont une part substantielle de la procédure est disposée par une référence directe du Code de justice administrative (v. notamment l'article R. 4126-8 du Code de la santé publique, sur la tenue de l'audience), et qui, pour le reste, s'en inspire fortement.


Cependant, par l'utilisation que fait le Conseil d'Etat de l'expression "principes généraux du droit disciplinaire", la solution commentée est plus encore rattachée à l'ensemble des arrêts encadrant les procédures disciplinaires, que celles-ci aient une nature administrative ou juridictionnelle.


L'arrêt à l'origine de ce mouvement étant bien sur l'arrêt Aramu du 26 octobre 1945 qui a élevé les droits de la défense en matière disciplinaire, soit le droit pour la personne sous le coup d'une procédure disciplinaire d'être entendue avant le prononcé de la sanction, au rang de principe général du droit.


Cette solution a donc vocation à s'appliquer au-delà des procédures disciplinaires conduites par une Juridiction, comme les Chambres Disciplinaires des Ordres professionnels, également aux procédures disciplinaires conduites par l'Administration, notamment à l'encontre des agents publics.


Les présidents de Conseils de Discipline, comme de Chambres disciplinaires, devront donc veiller à laisser la personne poursuivie s'exprimer en dernier.

par Pieyre-Eloi Alzieu-Biagini 06 avr., 2021
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